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Conseils

CONSEIL DE ROME - Pour une société mondiale plus équitable

20-21 janvier 2003


MESSAGE AU FORUM SOCIAL MONDIAL A PORTO ALEGRE ET
AU FORUM ECONOMIQUE MONDIAL A DAVOS

Original: anglais

1. Nous traversons une époque dans laquelle il s’avère particulièrement important de réaffirmer notre engagement envers deux valeurs fondamentales dans le contexte de la mondialisation: la paix et la justice.

Une paix qui ne se caractérise pas uniquement par l’absence de guerre, mais qui découle aussi de relations internationales au profit de tous les peuples du monde.

Une justice qui soit la fondation essentielle de la paix et sans laquelle la paix ne sera ni stable, ni durable.

Lutter pour la paix signifie donc, par nécessité, lutter pour la justice.

Il nous appartient de réhabiliter ces grandes causes et ces grandes valeurs. Elles représentent le seul moyen de parer complètement au triomphe de formes simplistes de populisme n’hésitant pas à faire appel aux instincts primaires telles que la xénophobie, le racisme, ou à un égoïsme extrême fonctionnant sur la base du « chacun pour soi » ou de « sauve qui peut ».

Ces causes et ces valeurs doivent aussi, néanmoins, conduire à des propositions qui soient crédibles, en particulier pour les jeunes générations, pour ceux qui comprennent de plus en plus les implications de l’univers mondialisé dans lequel nous évoluons et les nouveaux paradigmes introduits dans nos économies et nos sociétés du fait du savoir, cette grande force motrice, non seulement de la richesse mais aussi des inégalités.

2. La communauté internationale a maintenant défini un ordre du jour fondé sur la déclaration du Millénaire des Nations Unies, les décisions de Doha concernant la libéralisation du commerce international, les accords de Monterrey relatifs au financement du développement et les conclusions du sommet de Johannesburg sur le développement durable.

Il s’agit d’un ordre du jour limité. Bien éloigné des espérances et des recommandations de l’IS. Il faut souligner qu’il est loin d’être garanti et nécessite l’engagement de tous au sein de nos institutions internationales, gouvernements et organisations non-gouvernementales.

Cet ordre du jour doit se traduire en un accord mondial, ou un « contrat mondial », et se concrétiser véritablement.

3. Pour l’IS, dans l’intervalle, se posent des questions élémentaires sur lesquelles la communauté internationale doit se mobiliser.

a) L’annulation de la dette des pays les plus pauvres, sous réserve de conditions minimum de bonne gouvernance, pour aller plus loin que le programme des Pays Pauvres Hautement Endettés (PPHE) qui s’est avéré inefficace.

b) L’accord sur l’ouverture unilatérale des marchés des pays développés aux exportations en provenance de ces pays.

c) Un changement radical de politique en matière de subventions agricoles en Europe, aux Etats-Unis et au Japon, qui mette fin à la distorsion inacceptable des marchés, l’un des principaux obstacles au développement dans l’hémisphère sud. La promotion du développement rural, le soutien aux revenus des familles, et donc à la population, à la campagne, et la préservation des valeurs culturelles qui font partie intégrante de l’identité des populations - tous ces objectifs sont légitimes et même essentiels. Ils sont cependant incompatibles avec la politique agricole commune ou avec les subventions américaines qui viennent récemment d’augmenter. Il est intolérable que le bétail dans l’Union européenne soit mieux traité que plus d’un milliard de femmes, d’enfants et d’hommes sur cette planète.

d) La mise en place de conditions permettant l’accès efficace des populations les plus pauvres aux médicaments nécessaires pour prévenir ou traiter les épidémies qui représentent maintenant un fléau majeur pour l’humanité.

e) L’élimination des paradis financiers offshore, qui constituent non seulement une injustice flagrante au niveau fiscal, mais par-dessus tout, du fait du manque de réglementation et du droit à l’anonymat, sont surtout un facteur décisif dans le financement du terrorisme, du trafic de drogue et du crime organisé. C'est un moyen inacceptable d'impunité de la corruption de la part des régimes non-démocratiques.

f) Une pression politique soutenue, en faveur de l’augmentation significative de l’aide publique au développement, qui n’a même pas atteint les objectifs convenus, ce qui est inacceptable.

g) Enfin, l’engagement total de la communauté internationale pour résoudre le plus grand scandale portant atteinte à la vie humaine - la situation dans l’Afrique sub-saharienne. Principale victime des conséquences adverses de la mondialisation, ce continent est malheureusement plus ou moins exclu de ce processus, abandonné à son sort - guerre, pauvreté, faim, dettes et mort. L’initiative NEPAD, lancée par un groupe de pays africains cherchant à respecter les normes de la démocratie et la bonne gouvernance, mérite une réaction bien plus enthousiaste que les vagues mouvements de sympathie qui l’ont accueillie.

4. Ces causes sont bien réelles ; elles nous motivent et mobilisent nos efforts et notre intervention, ainsi que notre solidarité. Mais elles ne remplacent pas une perspective fondamentale. L’objectif central de l’IS depuis quelques années est de réclamer un programme mondial de réformes visant à réguler le phénomène de mondialisation et une nouvelle structure permettant de mettre en place des relations internationales mieux équilibrées et plus justes, fondés sur le respect des lois et garantissant un système efficace de "gouvernance mondiale". Nous voulons vous rappeler ici les propositions successives que nous avons faites dans le contexte de la réforme nécessaire du système des Nations Unies, notamment :

a) La formation d’un Conseil de sécurité économique et social de l’ONU, qui puisse, fort d’une légitimité internationale, prendre en main la mission pour coordonner le développement durable à l’échelle mondiale et faire avancer des réponses efficaces aux déséquilibres et aux situations de crise auxquelles nous assistons actuellement, avec tous les principaux moteurs de l’économie mondiale qui sont paralysés et incapables d’efforts conjoints pour relancer la croissance et l’emploi. Il serait souhaitable que ce conseil se réunisse à différents niveaux, notamment pour des sommets annuels des chefs d’Etat et de gouvernement, faisant intervenir les leaders des organisations internationales mondiales.

b) La réforme du système de Bretton Woods et un "consensus de Washington" révisé, associés à un plus grand contrôle et un support démocratiques basé sur un ensemble de conditions qui tienne compte non seulement d’une stabilité financière satisfaisante ou de la libéralisation des marchés dans les pays concernés, que l’on doit appliquer de façon moins rigide, mais également des besoins économiques et sociaux de la population. Le FMI doit disposer de pouvoirs de réglementation plus efficaces pour lui permettre de garantir la transparence des marchés financiers et la conformité à des codes de conduite adéquats.

c) La mise en place d’une Organisation mondiale pour l’environnement qui pourrait promouvoir l’application des accords et traités en vigueur, tel que le protocole de Kyoto, en rédiger des nouveaux, définir des programmes et compiler des données fiables sur l’état réel de l’environnement au niveau mondial.

d) Le renforcement du rôle et de la capacité d’intervention de l’Organisation internationale du travail.

e) L’introduction de clauses sociales et environnementales non-protectionnistes dans les accords négociés par l’OMC

5. Ce genre de propositions, en même temps que l’approfondissement des processus régionaux d’intégration politique, économique et social, comme ceux en place dans l’Union européenne, une coopération inter-régionale puissante et ouverte, et l’intervention encore plus active de la société civile dans la sphère publique mondiale, contribueront réellement à une plus grande justice dans les relations internationales, base concrète pour une paix durable.

Cet ordre du jour de réformes implique une redistribution profonde des pouvoirs, qu’on pourrait considérer utopique à l’heure actuelle, quand la concentration des pouvoirs apparaît encore plus grande.

Mais l’utopie d’aujourd’hui doit devenir la réalité de demain. C’est toujours ce qui s’est passé quand la communauté internationale a assumé ses responsabilités.

En ce qui concerne la libéralisation du commerce mondial, l'IS refuse d'inclure l'éducation, la culture et la santé dans la liste des produits ou services soumis à la concurrence économique mondiale.

6. Pour ce « contrat mondial », nous voulons souligner 10 points clés :

a) Le commerce international en tant que moteur pour la croissance et l’emploi, fondé sur l’accès libre des pays en développement aux marchés des pays développés, en particulier pour les produits agricoles et intensifs en main d’œuvre.

b) Transformer le risque de fracture numérique en opportunité numérique internationale. Les pays en développement doivent pouvoir « prendre en marche » le train de l’économie numérique et les pays du nord doivent lancer un plan d’inclusion destiné aux pays en développement, faisant intervenir des partenariats publics-privés.

c) Transformer le développement durable en opportunités de croissance. Il faut encourager les initiatives en cours pour promouvoir le développement durable et environnemental dans les secteurs de l’agriculture, de l’énergie et du transport et exploiter les opportunités d’emploi qu’elles pourraient créer.

d) Une nouvelle approche pour les politiques de développement qui combine des nouvelles opportunités d’échange, attire les investissements étrangers, encourage les entrepreneurs, fasse progresser les capacités de production nationale et les infrastructures sociales et optimise la responsabilisation. Dans les pays en développement, la stabilité et des programmes d’ajustement structurels devraient multiplier les possibilités fiscales d’investissements et de renforcement des dépenses surtout dans les secteurs de l’éducation, de la santé et du développement social. Il convient d’accélérer l’allègement de la dette pour les pays très endettés et de renforcer l’aide au développement, dans le cadre d’une stratégie de réduction de la pauvreté. Des ressources nouvelles globales doivent être dégagées pour financier les biens publics mondiaux.

e) Une réglementation optimisée, ainsi que des améliorations au niveau de la surveillance et de la responsabilisation des systèmes financiers, devraient également offrir des perspectives plus stables pour la croissance et le développement durables.

f) Investissement dans les personnes. Améliorer le niveau d’éducation et multiplier les programmes de formation pour tous, en utilisant des nouvelles méthodes, sont les conditions élémentaires pour obtenir la création d’emplois plus nombreux et meilleurs. Les technologies de l’information peuvent jouer un rôle crucial en offrant de nouvelles opportunités et en améliorant la qualité de l’éducation.

g) La santé et la sécurité constituent également un investissement fondamental dans les personnes, avec des implications directes et très positives en matière de productivité et de qualité de la vie. La lutte contre les maladies contagieuses doit représenter une priorité essentielle.

h) Il convient d’encourager l’employabilité et l’adaptabilité par le biais de programmes proactifs sur le marché du travail, notamment la lutte contre toutes les formes de discrimination et le renforcement des assistances aux salariés pauvres, afin d’améliorer leurs emplois. Des stratégies spécifiques à l’économie "informelle" sont nécessaires.

i) Un filet de sécurité pour la protection sociale s’est avéré un moyen puissant pour permettre aux gens de s’adapter au changement.

j) S’attaquer à la criminalité liée à la drogue et au blanchiment d’argent en renforçant la coordination internationale afin de réduire les sources d’offre et de demande, en faisant intervenir la société civile pour prévenir l’usage de drogues.

La mise en place d’un ordre du jour mondial de ce genre nécessite une transformation importante des structures de gouvernement à tous les niveaux: international, régional, national et local.

Enfin, l'IS considère que la réforme de ces institutions est une condition essentielle pour que le processus de mondialisation devienne plus juste et plus humain. Les objectifs de cette réforme doivent être les suivants:

1. Dans les gouvernements de ces institutions la voix des pays en développement doit être représentée de façon adéquate pour qu'ils puissent participer aux décisions qui les concernent.

2. L'activité des organismes gouvernementaux de ces institutions doit se réaliser dans la plus grande transparence, de façon que l'on sache sur la base de quels critères et avec quelle finalité les décisions sont prises.

3. Les programmes, élaborés pour intervenir dans les situations de crise, doivent être décidés avec le partenariat des pays intéressés, tenant compte des conséquences sociales de ces interventions.